Carlos Ghosn, le cost-killer

Il est à la fois brésilien, libanais et français. Quand on apprend qu’il a fréquenté une école de jésuites, on s’imagine que c’est en France alors qu’en vérité c’était au Liban. La France lui offrira plutôt les classes préparatoires, la formation à l’École Polytechnique puis à l’École des Mines. Quelques années plus tard, quand il réussit le pari de la restructuration de Nissan, on lui donne le nom de cost-killer. Son salaire de PDG de Renault fait polémique. On le hait, on l’admire. Mais l’unanimité se fait sur un point : s’il est un monstre, il est le monstre le plus charmant du management moderne. Revisitons ensemble la vie du PDG le mieux payé de France.

Carlos Ghosn à l'Ecole Polytechnique

Le PDG Ghosn Carlos

Si vous conduisez une Renault, sachez que vous avez au moins une chose en commun avec Carlos Ghosn : tous les deux vous conduisez une Renault ; à ceci près que vous, vous avez la voiture et lui, la société de voitures.

En février 2018, le conseil d’administration de Renault a reconduit Ghosn au poste de PDG pour encore 4 ans. Il serait même plus juste de dire que le conseil l’a prié de bien vouloir accepter de rester PDG de la firme. Ce nouveau mandat, il l’a arraché à tous, et forcé tout le monde à le lui concéder. Il n’a eu besoin ni de supplier, ni d’organiser des réunions clandestines. L’arme de Carlos Ghosn, c’est le résultat. L’année 2017 aura été une année de grand record : le bénéfice net de la société connaît une hausse de 50% par rapport à celui des années précédentes, avec 5,1 milliards d’euros. La société aura vendu 3,76 millions de voitures. Il faut ajouter à cela que l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi a pris la première place au niveau mondial dans la construction automobile.

L’autre record est celui de la marge opérationnelle qui est de 3,9 milliards d’euros. Cette marge opérationnelle constitue environ 6,6% du chiffre d’affaires du constructeur. Elle aurait pu passer à 6,8 %, n’eussent été les faibles performances du constructeur russe Avtovaz. En 2016, la marge était de 6,4 %, ce qui fait en 2017 une augmentation non négligeable.

Certes, il reste le vote de l’assemblée des actionnaires à mi-juin pour le confirmer au poste, mais c’est bien moins de ce côté qu’il y a à craindre.

Il aura un adjoint désormais !

Cela peut vous paraître banal que Carlos Ghosn ait désormais un directeur général adjoint. Mais depuis 2013, l’homme a toujours tout dirigé tout seul. Et l’on ne parle pas seulement de Renault. Il est aussi président des deux autres constructeurs de l’Alliance : Nissan et Mitsubishi Motors. Le directeur général adjoint se chargera surtout de la direction opérationnelle. Et pour occuper ce fauteuil de COO, le conseil d’administration a choisi Thierry Bolloré, qui était jusqu’alors Directeur délégué à la compétitivité de Renault. De toute évidence, il ne devrait pas y avoir une grande difficulté de collaboration entre les deux, puisque tous deux ont fait Michelin et que Thierry aussi est membre du directoire de l’Alliance. Par ailleurs, ce n’est pas vraiment la première fois que Thierry Bolloré travaille sous Ghosn. Il avait déjà occupé sous lui le poste de responsable de l’ingénierie, de la voiture connectée et autonome, du design et de l’industriel.

Thierry Bolloré et Carlos Ghosn

Une relation doux-aigre avec le gouvernement

Il est vrai qu’enfin, depuis que le salaire de Ghosn est renégocié et qu’il a fait quelques concessions, les choses semblent plus apaisées entre lui et Emmanuel Macron. Quant à Bercy, il a même avoué qu’il trouve « plus facile de travailler avec Carlos Ghosn qu’avec Carlos Tavares ».

En dépit de ces bons rapports, le gouvernement n’a pas totalement lâché le PDG. L’État étant actionnaire (15%), le gouvernement a 22% des droits de vote. Le premier point de dissension entre cet État-actionnaire et le PDG a été la question du salaire. C’est d’abord l’assemblée générale des actionnaires qui émet un vote contre le salaire princier du PDG : 7 millions d’euros par an. L’État ne lui lâchera pas de répit sur le sujet. D’abord le ministre d’économie d’alors, Emmanuel Macron s’en prend à lui ouvertement sur la chaîne LCP. “Quand des gouvernances sont défaillantes parce qu’elles pensent que tout est permis et qu’il n’y a plus de comportement en responsabilité et en éthique, on est obligé de rouvrir des sujets comme celui de la loi“. En termes clairs, le ministre de l’Économie menaçait d’utiliser l’arme de la loi pour le contraindre à la réduction de sa rémunération. Et quand il s’est agi du vote de sa reconduction à la tête de la firme, Le Maire posera la condition de la réduction de son salaire avant de voter pour lui. Ghosn a finalement accepté de réduire sa rémunération de 30%. Cependant là encore, les analystes y voient plus un trompe-l’œil puisqu’il pourra toujours faire des stock-options sur ces nombreuses actions gratuites qu’il a accumulées au cours des années.

Mais ce qu’il faut retenir en premier chef, c’est son immense charisme qui aura fait de lui le dirigeant qu’il est devenu.

L’homme de la restructuration de Nissan

Chez Michelin, il n’a pas conduit de restructuration, que l’on sache. Mais les 20 ans passés au sein de l’entreprise de pneumatique auront été la longue école qui l’a préparé aux fonctions et responsabilités qu’il prendra par la suite. Après quelques fonctions au sein de l’entreprise, il est devenu directeur de l’usine du Puy-en-Velay. Puis il devient le directeur des opérations de la zone Amérique du Sud avant de prendre la tête de Michelin aux USA. Il aurait sans doute voulu grimper la dernière marche et prendre la tête du groupe, mais il s’est heurté à une hiérarchie dynastique qui ne lui a pas permis d’aller plus loin que le poste de n°2 de l’entreprise familiale. C’est Édouard Michelin qui succédera à son père à la tête du groupe, et non pas Ghosn Carlos.

PDG Renault Carlos Ghosn avec Nissan LEAF

EN 1996, il se retire et rentre à Renault. En passant de la société qui fabrique les pneus de voiture au constructeur de voiture, une chose changera pour Ghosn : la possibilité de devenir le patron. Il le sera 9 ans après son entrée dans la société, en succédant à celui qui l’a recruté comme numéro deux, Louis Schweitzer. Mais avant, il fallait faire s’imposer en faisant le plus dur. À la tête d’une équipe de 16 Français, il part au Japon, pour essayer de remettre Nissan sur les rails. Le constructeur était à un pas de la faillite et sa dette automotive nette excédait 20 milliards de dollars. Il établit un plan de redressement, le Nissan revival Plan, en octobre 1999. Le plan promet un retour de la rentabilité dès 2000 et une marge opérationnelle supérieure à 4,5% du chiffre d’affaires. Il promet aussi une diminution de moitié pour la dette courante à partir de l’année fiscale 2002. Et, pour achever de cristalliser les attentions sur lui et son équipe, Ghosn s’engage à démissionner, avec tout son conseil d’administration si ces résultats n’étaient pas atteints.

Pour atteindre ce résultat, la méthode sera implacable. Il réduit de 14 % l’effectif de l’entreprise, soit 2100 postes. Il ferme cinq usines et cède les actifs de la division aérospatiale de Nissan. Puis, il taille dans tous les coûts de production, rompt avec les fournisseurs traditionnels par le jeu de la concurrence. Le résultat sera éclatant : un an après le démarrage du plan, l’entreprise annonce que son résultat d’exploitation a augmenté de 134%, avec un résultat net de 170,2 milliards de yens. Dès avril 2003, la dette de Nissan est entièrement remboursée et le résultat net connait une augmentation de 33%. Il établit un deuxième plan triennal, le Nissan 180, qui lui aussi réussit et place bientôt l’entreprise parmi les groupes automobiles les plus rentables. Nissan est sauvé, il arrange l’alliance Nissan-Renault et en avril 2005, il devient le PDG de Louis Schweitzer.

Carlos Goshn Président RENAULT

À la tête de Renault

En 2006, il lui faut encore faire face à la baisse des résultats chez Renault. Il appliquera encore sa méthode et dressera un plan dénommé « Renault Contrat 2009 ».  Ce plan a trois articulations principales :

  • Parvenir à vendre 800 000 véhicules supplémentaires avec 26 nouveaux modèles
  • Réduire les coûts et accroitre l’investissement
  • Réaliser une marge opérationnelle de 6% en 2009 et placer Renault au premier rang des constructeurs généralistes européen.

Ce n’est pas parce que les plans Nissan ont fonctionné et ont été couronnés par un succès qu’il faudra de fait espérer que celui de Renault sera aussi un succès. Le défi était donc entier pour le nouveau PDG. Le plan prévoyait également de faire hisser la Laguna, l’un des 26 nouveaux modèles dans le top 3 de son segment. Depuis l’échec de Vel Satis et de l’Avantime, le constructeur a en effet perdu sa notoriété dans le haut de gamme.

La méthode Ghosn sera un management autoritaire encourageant la compétitivité entre les ingénieurs. Il utilise intelligemment l’ambition de ces derniers pour accroitre la production et réduire les coûts. Il a surtout créé ses fameuses équipes transverses qui étaient chargées de réduire les coûts de production à tous les niveaux.  Les objectifs du plan « Renault Contrat 2009 » sont déclinés en cascade de manière à se ramifier en objectifs opérationnels pour chaque département et chaque employé. Des indicateurs, rigoureusement fixés permettaient de mesurer les avancées au niveau de chacun.

Le plan est globalement bien accueilli et suscite diverses actions chez les concurrents qui décidèrent de construire des modèles semblables à ceux que prévoyait Renault. Le plan ne tiendra cependant pas ses promesses, notamment à cause de la crise financière de 2008 qui n’aura pas permis à l’entreprise d’augmenter ses ventes comme elle l’aura espéré. Carlos Ghosn prévoit alors un nouveau plan de restructuration et envisage la suppression de 6 000 postes (en France, 4 800 postes sont visés), ce qui lui attire la foudre des syndicats.

Le PDG annoncera le drive the change, le plan Renault 2016. Trois points sont mis en exergue dans le nouveau plan : la voiture électrique, le développement international et le renouvellement du design. Au bilan, en 2016, l’ensemble des objectifs sont atteints. Le Groupe peut alors recapitaliser le constructeur Avto Vaz.

Carlos Ghosn avec Vladimir Poutine

Ghosn ou le management participatif

S’il a pu supprimer 2100 postes chez Nissan, rompre avec les fournisseurs traditionnels et fermer des usines au Japon, c’est d’abord parce que le PDG a mis en œuvre une démarche qui a permis de tenir compte de toutes les catégories socioprofessionnelles présentes dans la firme. Au niveau du management des ressources humaines, Ghosn écoute tout le monde, à tous les échelons, pour prendre les suggestions de chacun. Puis il a mis en place des groupes de travail inclusifs ayant eu pour mission de proposer des solutions. Par ailleurs, il expose lui-même sa démarche à tous ses collaborateurs, et implique chacun personnellement dans l’atteinte des objectifs contenus dans les divers plans qu’il a déployés, ce qui était bien une première pour cette entreprise nipponne.

Il fera pareil chez Renault. Avant d’élaborer son premier plan triennal, il fit le tour complet des usines et département de l’entreprise, et au cours de ces tournées, il alla à la rencontre du personnel (tout échelon compris). Ce n’est qu’ensuite, et sur la base de toutes les suggestions et recommandations recueillies ainsi, qu’il élaborera sa stratégie. Et pour ce qui est de la réduction des effectifs, le patron de Renault évitera constamment de recourir au licenciement, préférant toujours les départs volontaires. Son charisme, son talent dans la gestion des crises en entreprises et ses succès dans le redressement de Nissan et tout récemment dans la restructuration de Renault lui valent l’admiration de tous. Le président Obama lui fera d’ailleurs appel en 2013 pour diriger la General Motors qui connait d’énormes difficultés. Cette offre, Ghosn la déclinera poliment, tout absorbé qu’il était par la relance du Constructeur français.

Aujourd’hui âgé de 64 ans, Carlos Ghosn est l’un des PDG les mieux payés au monde. Il aura surtout trouvé chez Renault ce qu’il ne pouvait avoir chez Michelin : le poste de PDG.